La musique renforce-t-elle le lien social ?

On écoute de plus en plus de musique seul. Pourtant, il s’agit avant tout d’un échange entre des artistes et un auditoire. Pourquoi la musique nous aide-t-elle à créer du lien ?

La musique est partout : dans nos écouteurs, la publicité, les événements sportifs… Elle nous accompagne tous les jours, rythme nos émotions et nous rassemble. Nous avons développé au fil des siècles une sensibilité particulière qui nous permet de l’interpréter et de la communiquer. Pourtant, les codes et styles musicaux varient énormément d’une culture à l’autre et nous avons tous des préférences personnelles. Comment avons-nous fait de la musique un langage universel et dans quelle mesure nous permet-elle de communiquer ?

Pourquoi écoutons-nous de la musique ?

On retrouve les premiers instruments de musique chez nos ancêtres il y a au moins 40,000 ans de cela. D’une culture à l’autre, le contexte et le rôle de la musique, ainsi que sa signification pour ceux qui la jouent, l’écoutent ou la dansent varient énormément. À travers les temps, la musique est surtout une expérience collective. Elle est un symbole d’appartenance à un groupe et un témoignage de son histoire. La consommation solitaire de musique est en effet très récente, supportée par le développement du format mp3. À l’origine, la musique revêt un caractère sacré. Elle est pratiquée à l’occasion de cérémonies et rituels par des individus habilités à réaliser cette tâche, dont la place est centrale dans la société.

L’importance de la musique dans notre société s’explique par ses nombreuses vertus sur notre santé physique et mentale. L’écoute prolongée de musique provoque la libération de dopamine dans notre cerveau. C’est ainsi qu’elle nous procure du plaisir, soulage le stress, la fatigue et nous aide à réguler nos émotions. La musique agit aussi sur notre mémoire et influence même nos habitudes d’achat. Une étude a par exemple prouvé que les consommateurs étaient plus susceptibles d’acheter du vin français lorsque de la musique française était jouée au supermarché. Enfin, la musique participe au développement de l’identité et joue un rôle central dans la formation des préférences et des groupes sociaux.

Plus que n’importe quelle forme d’art, la musique a la faculté de nous transporter, en provoquant une réaction physique immédiate chez la plupart de ceux qui l’écoutent. Sa nature immersive la rend compréhensible et communicative. Elle nous fait danser, pleurer ou rire et exprime chez chacun des émotions très subjectives.

Nous avons au fil des années assimilé certains codes qui nous permettent de comprendre l’intention de l’artiste derrière un air ou un rythme en particulier. Pourtant, ces codes ne sont ni fixes ni universels. Ils évoluent d’une époque à l’autre, à travers des instruments très différents, en s’appuyant sur des expériences uniques et incomparables.

Communiquer grâce à la musique

Malgré ces différences, nous sommes capables d’interpréter la musique d’autres temps et cultures. Dans la grande majorité des cas, vous pourrez déceler un air triste d’un air joyeux, qu’il s’agisse de musique traditionnelle indienne ou de hip-hop new-yorkais.

Des chercheurs de l’université de Californie ont mis au point une expérience pour mesurer la réaction émotionnelle d’individus exposés à des genres musicaux inconnus. Ils ont rassemblé trois groupes d’auditeurs, occidentaux, chinois et indiens, sur lesquels ils ont placé des capteurs pour calculer leur nombre de frissons à des moments clés de la musique. Ils leur ont ensuite joué tour à tour plusieurs musiques de chaque origine pour évaluer la similitude des réactions d’un groupe à l’autre.

Ils ont découvert qu’il n’y avait pas de différence marquante d’un groupe à l’autre sur le nombre de frissons ressentis lors de l’écoute des différents styles de musique. Bien qu’il existe une légère corrélation entre l’origine des participants et leur propension à réagir aux oeuvres tirées de leur culture musicale, tous montraient une sensibilité comparable à celles des autres. Certains facteurs comme le volume, la vélocité ou l’attaque semblent donc avoir une valeur inter-culturelle, qui permet aux personnes de réagir à des styles musicaux qui leur sont étrangers. Grâce à ces éléments, nous sommes capables d’interpréter la portée émotionnelle d’une oeuvre musical quelconque, et donc de la communiquer avec d’autres personnes à travers le monde.

Par ailleurs, d’autres recherches ont démontré que la réaction mesurée sur les auditeurs de musique n’était pas simplement un stimuli physique mais une émotion authentique cohérente avec l’intention de l’artiste. Les variations de volume ou de vélocité dans la musique n’auraient donc pas seulement un impact ponctuel mais des conséquences sur la perception de l’oeuvre dans son intégralité. Leur réaction corporelle se traduisait par des mécanismes bien distincts lorsqu’ils étaient exposés à des musiques joyeuses un temps, ou tristes de l’autre. Les causes de cette “contagion musicale” comme ils l’appellent ne sont pas toujours très claires, mais impliquent bien qu’il y a dans la musique une forme de langage universel.

La musique fédératrice

Contrairement au langage, l’harmonie et la mélodie dans la musique s’articulent autour d’un rythme, qui facilite la coordination entre les musiciens et l’auditoire. Elle incite à l’action et suscite une émotion contagieuse.

Plusieurs expériences indiquent une forte corrélation entre la pratique musicale, la cohésion de groupe et la coopération sur le long terme. Les individus ayant pratiqué une activité musicale sont généralement plus susceptibles de collaborer avec leurs pairs dans une situation de groupe. Dans une myriade d’activités quotidiennes, allant du jeu chez l’enfant au cadre professionnel chez l’adulte, la musique semble faciliter la coopération et améliorer l’empathie.

Une étude a par exemple démontré que les enfants allaient plus naturellement chercher une solution en équipe plutôt que d’essayer de résoudre un problème seuls lorsqu’ils étaient exposés à une activité musicale avant un atelier de groupe. Les chercheurs sont parvenus à démontrer que la combinaison de voix et d’action induite par la musique incitait les enfants à adopter un comportement pro-social lorsqu’ils étaient ensuite confrontés à un camarade. Ils avaient plus tendance à vouloir jouer ensemble que lorsqu’ils n’y avaient pas été exposés.

Une autre étude, conduite cette fois-ci sur des adultes, arrive à des résultats similaires. Séparés en plusieurs groupes, certains étaient exposés à de la musique lors d’une situation professionnelle dans laquelle ils devaient prendre des décisions. Les groupes de participants auxquels on passait de la musique joyeuse collaboraient nettement mieux que leurs homologues dans les groupes de contrôle sans musique. À l’inverse, ceux auxquels on passait de la musique triste était négativement affectés dans leurs échanges.

Sur ces observations, les chercheurs constatent une corrélation très forte entre l’humeur et la coopération. Les effets initiaux de la musique sur l’humeur avaient des conséquences importantes tout au long de l’activité, même après la fin du morceau.

Pour conclure, la musique a une réelle capacité à renforcer le lien entre les personnes, et pas seulement lorsqu’elles viennent du même endroit ou partagent les mêmes goûts musicaux. Elle nous permet d’exprimer notre individualité et de communiquer des émotions sans se confronter aux barrières de la langue. La pratique de la musique a des conséquences durables sur l’individu et se transmet de génération en génération. Les sociétés dans lesquelles la musique joue un rôle prépondérant tendent à mieux coopérer et à développer un comportement plus empathique.

Sources :

• Lars-Olov Lundqvist, Fredrik Carlsson, Per Hilmersson, and Patrik N. Juslin (2008). Psychology of Music, 37:1. 61-90
• Beier, E. J., Janata, P., Hulbert, J. C., & Ferreira, F. (2022). Do you chill when I chill? A cross-cultural study of strong emotional responses to music. Psychology of Aesthetics, Creativity, and the Arts, 16(1), 74–96
• Sebastian Kirschner, Michael Tomasello (2010). Joint music making promotes prosocial behavior in 4-year-old children. Evolution and Human Behavior. Volume 31, Issue 5. Pages 354-364
• Kevin M. Kniffin, Jubo Yan, Brian Wansink, William D. Schulze (2016). The sound of cooperation: Musical influences on cooperative behavior. Volume38, Issue3March 2017. Pages 372-390
• Shahram Heshmat Ph.D. (2019). Music, Emotion, and Well-Being: How does music affect the way we think, feel, and behave? Psychology Today